Le pigeon voyageur comme éclaireur
Le pigeon voyageur s'est avéré être un auxiliaire très utile dans la guerre, aussi bien pour la transmission des messages que pour la prise d'images.
SUR LE FRONT ET À L'ARRIÈRE
Illustrierte Chronik des Krieges
6/18/20255 min read


L'utilisation de ces charmants animaux pour la transmission de messages est très ancienne. Elle repose sur son sens de l'orientation assuré par sa vue perçante et sa mémoire, ainsi que sa vitesse et son endurance en vol. Un pigeon parcourt en moyenne un kilomètre par minute et, même à 150 km de distance, il retrouve son chemin jusqu'à son poste d'attache. Des pigeons expérimentés, forts de plusieurs années d'expérience, peuvent même parcourir sans difficulté des distances de 300 km, la distance maximale pour les pigeons militaires allemands, dans des conditions météorologiques relativement favorables. Déjà dans l'Antiquité, les Chinois et les Égyptiens utilisaient ces messagers ailés, et les Grecs, au Ve siècle avant Jésus-Christ, leur confiaient la proclamation rapide de leurs succès lors de jeux de combat.
Les pigeons voyageurs furent utilisés pour la première fois à des fins de reconnaissance militaire à l'époque de César. Lorsque, lors du siège de Mutina, l'actuelle Modène, en l'an 43 avant Jésus-Christ, ces messagers ailés annoncèrent à Decimus Brutus, pressé par Antoine, qu'Hirtius allait le remplacer, il tint la forteresse jusqu'à ce qu'Antoine soit vaincu sous ses murs par Octave et contraint d'abandonner précipitamment le siège. Tout au long du Moyen Âge et jusqu'à la Renaissance, cette poste aérienne et l'élevage de pigeons voyageurs jouissaient d'une grande estime en Europe, mais n'étaient plus qu'un loisir de riches. Seul le mémorable siège de Paris en 1870 la remit en honneur et démontra sa grande importance pour le renseignement militaire. Coupée de tout contact avec le monde extérieur par son siège, la capitale assiégée parvint néanmoins à communiquer avec le reste de la France par voie aérienne. Ces messagers ailés transportèrent plus de 40 000 dépêches à destination et en provenance de Paris. Il a été reconnu qu’à une époque où tous les autres moyens de communication – signalisation, ballons et radiotélégraphie – échouaient en raison d’une intervention violente, les pigeons voyageurs seraient le dernier moyen possible de recevoir des messages de l’étranger ou de les y envoyer.
Le courrier aérien est donc d'une valeur capitale pour les forteresses assiégées, les régions isolées et les navires de guerre. Le sort d'une forteresse assiégée, voire l'issue d'une campagne entière, peut dépendre d'un simple message envoyé par pigeon, car une armée encerclée peut se tenir informée de la présence d'autres places fortes, de ports navals et de la campagne grâce aux pigeons voyageurs.
Chaque pays a donc introduit le pigeon voyageur comme moyen de guerre. Depuis que Bismarck a suggéré pour la première fois l'établissement de stations militaires de pigeons voyageurs en Allemagne en 1875, toutes les forteresses allemandes le long des frontières mondiales et orientales, ainsi que chaque port naval de la mer du Nord et de la mer Baltique, ont leur propre station, souvent dotée de jusqu'à 1 000 pigeons et où, en moyenne, 200 à 250 « recrues » sont minutieusement entraînées pour leur important service. Toutes les stations militaires de pigeons voyageurs sont reliées entre elles et à Berlin-Spandau, où se trouvent le quartier général et la station d'élevage. Outre cette armée permanente de messagers ailés, notre administration militaire dispose également d'une réserve considérable d'environ 70000 pigeons en cas de guerre, fournie par la très active « Association des clubs allemands de colombophiles voyageurs », dont le président est l'Empereur. Chaque pigeon, qui doit être inscrit sur une liste précise et un registre de vol, n'est utilisé que pour des missions très spécifiques et donc destiné à la défense de la forteresse, même en temps de paix, la mobilisation de ces troupes auxiliaires en cas de guerre s'effectue très rapidement et avec la ponctualité allemande bien connue. Dans les forteresses, le poste de pigeonniers est placé sous le commandement d'un officier désigné, assisté d'un personnel bien formé composé d'agents et d'observateurs. De là, le personnel lourd est transporté vers les avant-postes (c'est-à-dire les points de décollage) et vice-versa, vers des lieux importants pour le renseignement. Au moins 200 hommes sont nécessaires dans chaque direction, car des pertes sont toujours à prévoir en raison de mauvaises conditions météorologiques, de fermetures, etc. Pour les mêmes raisons, les pigeons sont toujours envoyés par groupes de cinq avec le même message. Pour que le pigeon puisse délivrer un maximum de dépêches simultanément sans gêner son vol, les messages sont transférés par microphotographie sur de petites feuilles de collodion de 4 mm de large maximum. Dix-huit de ces feuilles, pouvant contenir jusqu'à 70 000 mots chacune, pèsent moins d'un demi-gramme. Elles sont placées ensemble dans un tube en aluminium de 4 à 5 cm de long et scellées à la cire. Le tube est ensuite soigneusement fixé avec du fil de lin ou de soie imprégné de cire, ou avec du fil de fleuriste, sous la plume centrale de la queue du pigeon ou sur ses pattes, et le messager ailé peut alors entamer son périlleux voyage. Si les pigeons arrivent à destination, les tubes contenant les dépêches sont récupérés et ouverts par l'officier de service. Les dépêches photographiques sont soit examinées à la loupe, soit agrandies par un projecteur et projetées sur un écran blanc tendu, puis notées et remises au commandant de la forteresse.


Outre les dépêches et les lettres, les pigeons voyageurs peuvent également transmettre des croquis et des dessins de toutes sortes, ce que le télégraphe ne permet pas d'atteindre avec la même perfection. Après plusieurs années d'expérimentation, un pharmacien allemand, le Dr Neubronner, a même réussi à entraîner des pigeons voyageurs à prendre des photos en plongée, obtenant déjà de très bons résultats avec des pigeons porteurs d'ordonnances et de médicaments, qui pesaient souvent jusqu'à 75 g.
Une cuirasse en aluminium est placée sur le volatile, qu'il porte en permanence. Un modèle d'appareil photographique est d'abord fixé sur la cuirasse, supportant un poids de 30 à 75 g. Une fois le pigeon habitué à ce poids, le modèle est remplacé par l'appareil photo, de 8 cm de long et 5,5 cm d'épaisseur, qui peut être chargé avec des films ou des plaques. L'appareil est fermé et l'obturateur à plan focal est armé. Le déclenchement de l'obturateur se fait par un dispositif simple. Comme on connaît le trajet d'un pigeon lors d'un vol de seulement 15 km, on sait approximativement quel terrain l'appareil va photographier. Pour prendre le cliché de ce terrain, le pigeon est lâché à un endroit choisi de manière à ce qu'il le survole à son retour au pigeonnier. L'obturateur de l'objectif est réglé de manière à se déclencher automatiquement dès que le pigeon survole le terrain. Les images – stéréoscopiques et panoramiques sont également possibles – sont agrandies et offrent une image saisissante du terrain survolé.
Les photos prises jusqu'à présent par Neubronner grâce à sa « photographie aérienne » sont excellentes et laissent espérer que les pigeons contribueront également efficacement à la reconnaissance militaire des forteresses assiégées en temps de guerre. Il convient toutefois de noter que la formation des pigeons à la photographie est encore très limitée et requiert la plus grande prudence.
Source : Dr. G. Stehli, Illustrierte Chronik des Krieges, 1914
Traduit de l'allemand par Cl. He.