LES GÉNÉRAUX FRANÇAIS

Le général Galliéni

Général Galliéni
Général Galliéni

Sarrebourg et Morhange en Moselle les 19 et 20 août ont été des échec pour notre armée. Dubail et Castelnau se sont respectivement repliés sur la Meurthe et sur le Grand Couronné où les deux armées se trouvent à peu près réorganisées le 22 au soir. Du 21 au 26, après de durs combats dans les Ardennes, les armées de Ruffey et de Langle de Cary ont dû se retirer derrière la Meuse.

Maunoury, le 25, a mis en retraite le Kronprinz à Étain; mais il est rappelé en hâte sur la Somme avec ses forces. Engagée à l'effectif de 19 divisions françaises contre 31 allemandes, la bataille de Charleroi, compromise le 21 août par des attaques imprudentes contraires aux ordres du général Lanrezac, se termine le 23 par un repli nécessaire pour échapper à de sérieuses menaces d'encerclement.

Le 24, commence la retraite générale des armées françaises. L'armée britannique s'associé à ce mouvement. Cependant, le 25, Castelnau était victorieux à la trouée de Charmes, infligeant un premier échec grave au plan d'ensemble allemand. Poursuivant ses avantages, il se dispose sur le Grand Couronné à sauver Nancy. Dubail se tient accroché à l'armée allemande descendant des Vosges. Sous la protection qu'ils assurent tous deux sur la droite, la retraite stratégique continue.

L'armée allemande s'ancre dans la conviction qu'elle n'a plus affaire qu'à un adversaire incapable de se ressaisir; les attaques françaises sur la Meuse où un drapeau est pris, les demi-victoires de Saint Quentin et de Guise le 29 août, ne sont que des épisodes glorieux dans une lutte trop inégale.

Le 1er septembre, l'ennemi est à Compiègne, le 2 à Chantilly et à Senlis.

C'est alors, qu'à la demande de l'autorité militaire. le gouvernement se résigne à quitter Paris pour Bordeaux. La capitale est remise à Gallieni qui en est le même jour nommé gouverneur.

La proclamation du général à la population est d'une sobriété saisissante : "J'ai reçu le mandat de défendre Paris contre l'envahisseur. Ce mandat, je le remplirai jusqu'au bout".

Le général Pau

Général Pau
Général Pau

Le général Paul Marie César Gérald Pau, né à Montélimar le 29 novembre 1848, est sans doute le plus populaire et le plus apprécié des chefs militaires français actuels.

Ce vieux cheval de bataille est salué par tous comme un officier courageux et consciencieux, un véritable joyau pour l'armée française. Malgré ses 66 ans, le général Pau demeure un excellent cavalier et un travailleur infatigable. Ce vieil homme robuste et vif, aux yeux pétillants, sait  marcher droit et monte un cheval blanc comme celui de Henri IV. Mais tout comme la jambe droite du général Caffarelli fut perdue en Égypte, le bras droit du général Pau resta en territoire ennemi. Alors que la gloire du duc de Magenta s'éteignait à Wörth, une balle brisa le bras droit du jeune sous-lieutenant Pau à Froeschwiller, qui dut ensuite être amputé dans un hôpital allemand.

Pau était donc un infirme capturé, et sa carrière militaire aurait pu s'achever prématurément si sa fidèle sœur Marie-Edmée ne l'avait soutenu avec un dévouement rare. Elle avait suivi le régiment de son frère comme infirmière et, lors des batailles de Wissenbourg et de Woerth, en Alsace, avait eu la délicate idée d'utiliser son grand talent de dessinatrice pour réaliser rapidement des portraits de soldats mourants au combat et les envoyer à leurs familles comme ultime souvenir. Lorsqu'elle apprit la situation désespérée de son frère, elle se rendit seule, sans aide, à pied et, courageusement, au mépris de nombreux dangers, jusqu'à l'arrière-garde allemande. Elle fouilla tous les hôpitaux allemands et eut enfin la satisfaction de pouvoir embrasser le blessé. Après avoir surmonté mille difficultés, elle pénétra dans la chambre de Bismarck, se jeta à ses pieds et implora la libération de son frère bien-aimé, malgré le refus obstiné de ce dernier de lui donner sa parole d'honneur de ne plus combattre contre l'Allemagne dans cette guerre. Ému et bouleversé par l'héroïsme de la belle jeune fille, le Chancelier de Fer échangea Pau par un officier allemand capturé. Rayonnante de joie, Marie-Edmée rentra chez elle avec son frère, le soigna jusqu'à ce qu'il soit guéri, puis le renvoya au combat avec ces mots impérieux : « Tant qu'on a encore une tête et un bras, il faut servir la France. »

Pau reçoit la Croix de la Légion d'honneur, devient premier lieutenant, puis capitaine dans l'armée d'Orient du général Bourbaki. Marie-Edmée reste d'abord chez sa mère à Nancy, mais sans nouvelles de son frère, elle se précipite, effrayée, vers le théâtre des opérations, où Werder a entre-temps repoussé l'armée d'Orient dans le Jura suisse. On lui apprend que son frère est tombé lors des dernières batailles et on lui montre le cercueil. Elle le fait ouvrir, et un visage étrange, semblable à celui d'un cadavre, la fixe. L'excitation, les privations et le séjour au sein de cette armée en péril jettent la courageuse jeune fille au lit, et trois jours après son retour à Nancy, sa noble âme s'enfuit.

À sa demande, son cercueil fut drapé du cher drapeau tricolore, marquant la première apparition en cinq mois des couleurs françaises en Lorraine, capitale occupée par les Allemands. Infirmes et blessés pleuraient leur infirmière et bienfaitrice, mais la garnison allemande rendit également hommage à cette jeune fille héroïque, qui avait incarné avec tant de générosité et de dévouement l'amour fraternel. Officiers et soldats formèrent une garde d'honneur et saluèrent respectueusement le cercueil de la courageuse petite Française.

Marie-Edmée n'avait jamais revu son frère, et pourtant, Pau était toujours en vie. Mais le désarmement de la dernière armée française en Suisse était inacceptable pour le jeune homme ; il ne pouvait rester les bras croisés face à l'agonie de sa patrie. Il appela sa compagnie à se joindre à lui pour combattre et mener son armée à Dijon. Personne ne fut laissé pour compte, car les soldats aimaient leur jeune et courageux capitaine et le suivirent contre vents et marées. Suivant des itinéraires secrets, au milieu de combats incessants et de terribles épreuves, la vaillante troupe atteignit son but. Après la guerre, Pau, qui devait sa formation à la célèbre école militaire de Saint-Cyr, contribua particulièrement à la réorganisation de l'armée. Auparavant, il dut combattre contre ses compatriotes, participant à la répression sanglante de la Commune comme capitaine au 135e régiment d'infanterie. En 1881, il reçut le commandement du 23e régiment de chasseurs à Limoges et partit avec eux à Alger pendant trois ans. En 1893, colonel, il commanda le 45e régiment d'infanterie à Laon ; en 1897, général de division, il commanda la 4e brigade d'infanterie à Soissons, puis, lieutenant général, la 14e division à Belfort, jusqu'en 1907, date à laquelle il se vit confier le commandement important du 20e corps d'armée à Nancy. Il servit également pendant une longue période comme commandant de Paris et ministre de la Guerre.

Les dirigeants républicains, qui soupçonnent un coup d'État chez tout officier capable et populaire, ont toujours été quelque peu méfiants à l'égard du général Pau, d'autant plus qu'il est considéré comme un bonapartiste convaincu.

Il ne s'est cependant jamais distingué sur le plan politique, car il avait trop bien compris l'influence néfaste des officiers politisés sur l'armée. Lors des débats passionnés à la Chambre des Députés sur l'introduction de la durée de service de trois ans, il défendit le point de vue du gouvernement avec toute la fermeté et la fougue de son tempérament. Lors des dernières grandes manœuvres en Suisse, auxquelles Pau participa en tant que représentant de la France, il fut également présenté à l'empereur allemand, qui s'entretint longuement et avec plaisir avec le héros de la guerre. Aujourd'hui, ils se font face sur le terrain. Jusqu'à présent, le général Pau a été l'un des meilleurs chefs militaires français et a donné beaucoup de fil à retordre aux troupes allemandes dans les Vosges et à Nancy. On dit déjà qu'il est destiné à une position plus élevée. Certes, même le général-manchot- Pau ne pourra plus arrêter le cours des événements et les progrès des armées allemandes, mais on peut supposer que ce chevaleresque vieillard, en qui apparaît encore un reste de l'esprit distingué de la vieille France, mènera la guerre humainement et ne déshonorera pas son nom, qui jouit du plus grand respect, même chez ses adversaires, par l'envoi de bandes de francs-tireurs sournois, par des incendies injustifiés et par l'égorgement de blessés sans défense.

Source : Illustriert Chronik des Krieges

Traduit de l'allemand par Cl. He.

Général von Pao

Les soldats allemands faits prisonniers dans la région des Vosges ont tous à la bouche un nom bizarre qu’ils prononcent avec une sorte de terreur mêlée de respect. Ce nom est celui de « von Pao ». Il semble d’abord vaguement chinois, mais c’est, déclarent les Allemands « celui d’un guerrier terrible, entouré d’un état-major valeureux, qui a juré de venger 70… ». Pour tout dire, c’est celui du général Pau, qui a dirigé les opérations en Haute-Alsace et si vivement bousculé dans les vallées vosgiennes les troupes impériales opposées à nos pantalons rouges et à nos « diables noirs », à nos artilleurs et à nos cavaliers. Les Allemands prononcent « Pao » parce que c’est la manière allemande de prononcer la diphtongue « au ». mais pourquoi disent-ils von Pao ? Parce que les soldats de l’empereur Guillaume, accoutumés à ne voir que des nobles parmi leurs officiers, ne peuvent pas imaginer qu’un général, fût-il français, ne porte pas la particule.Ils ont automatiquement anobli le général Pau…qui certainement n’en sera pas plus fier pour cela.

Source : Bulletin des Armées de la République, 10 octobre 1914